Deuil, sens et attachement
J’ai beaucoup accompagné les hommes et les organisations autour du sens depuis plus de quinze ans. Je crois qu’en réalité le sujet m’accompagne depuis ma naissance.
J’ai perdu mes parents à l’âge de trois ans et sans doute ai-je réussi à construire ma vie autour d’un sens qui me dépassait.
J’ai depuis rencontré de nombreuses épreuves sur mon chemin : certaines m’ont mises à terre, d’autres m’ont à peine bousculées.
Lors de ce dernier réveillon, une épreuve inattendue est venue transformer ce passage en une nouvelle initiation. Elle m’a tellement ébranlée que je suis restée prostrée toute la journée du premier Janvier.
J’étais incapable de prendre de hauteur, juste recroquevillée sur moi-même, en boule, à la manière d’un animal abattu, cherchant en vain un « pour quoi ».
Quel sens allais-je bien pouvoir donner à ce nouveau tsunami qui m’accablait.
Il arrive souvent que lorsque l’on commence une quête de sens, nous cherchions le sens caché d’une épreuve, un sens à sa vie. On cherche alors des indices qui pourraient nous éclairer sur le chemin. Quelle est ma mission, pourquoi suis-je venue ici ? quel est mon rôle ? pourquoi cette épreuve ? pourquoi moi ?
J’ai depuis découvert qu’il ne s’agit pas de chercher un sens à sa vie mais plutôt de lui en donner un.
Ce qui change de façon draconienne la façon d’envisager l’avenir. Nous redevenons ainsi leader de notre vie. Et c’est bien au cœur de cette souveraineté que notre pouvoir sur notre vie réside, quelles qu’en soient les épreuves rencontrées. Bien sûr nous ne choisissons pas tous les évènements qui surviennent, mais notre vraie liberté, notre libre arbitre se trouve précisément dans le sens (signification et direction) que nous décidons de leur donner.
La mort d’un parent peut être un anéantissement et/ou un merveilleux élan donné par cette disparition pour mieux nous permettre de prendre notre pleine expansion, au-delà de l’enfant que nous étions, pour devenir l’homme ou la femme que nous sommes. Une maladie peut être sur notre chemin pour nous faire découvrir notre force et/ou notre compassion face à nous même avant de l’offrir aux autres.
Une rupture affective peut surgir comme un puissant éveil vers l’amour inconditionnel.
Notre chemin de vie est pavé d’enseignements qui parfois ne nous apparaissent en conscience qu’en trébuchant. Il arrive qu’il faille des années pour voir clair dans des schémas dysfonctionnels mis en place par le passé : nos croyances limitantes, nos compensations, nos émotions rackets, nos besoins de sécurité, nos attachements.
D’ailleurs, je me penche depuis bien longtemps sur le sujet des attachements et du détachement. La vie m’en révéla quelques secrets après plusieurs années vécues à l’étranger. J’ai appris la perte de repères, de confort, de lien. Finalement ce qui me fut le moins difficile fut la perte matérielle. J’ai vécu pendant quelques années dans des meublés, sans souvenirs d’avant, avec pour seules affaires personnelles ma valise.
J’ai depuis trié de nombreux cartons sans trop d’effort tant je m’étais habituée à vivre sans rien qui ne m’appartienne.
Je ne crois pas avoir de réelle attache matérielle. Quant aux attaches affectives, la vie m’a offert des épreuves initiatiques fortes pour me préparer à quitter mes enfants, mes amours, la vie même.
Mais il est un attachement dont je n’avais pas conscience et qui m’est apparu clairement lors de cette première journée de Janvier : mon attachement à la souffrance ! Qui l’eut cru ! Pas moi en tous cas. Je me considérais joyeuse, enthousiaste et positive. Les obstacles sur mon chemin en ne me tuant pas, m’avaient renforcée. Alors pourquoi cette épreuve de plus, une épreuve de trop ? La pilule passait bien mal. Et le sens à donner à cela ne venait guère…
Le 2 Janvier au réveil j’ai d’abord cru que je prenais le temps nécessaire au deuil que j’avais à faire. Mais en réalité, un attachement insidieux à ma souffrance m’apparut peu à peu. Je ne ressentais pas de la compassion pour cette personne en souffrance que j’étais mais un attachement à celle qui souffrait. Comme si, face à cette victime, le respect, l’attention et la compassion s’imposaient comme seuls acceptables. Pourtant une autre idée, une idée de rupture s’immisça. A une époque où l’on se moque beaucoup trop de l’autre à mon goût, il m’est venu l’envie de me moquer gentiment de moi-même. Loin de moi l’idée de faire disparaître la souffrance ressentie mais j’eus simplement l’envie de lui redonner sa juste place. La souffrance fait et fera encore sans doute partie des enseignements de ma vie, mais tout autant que les moments d’extase ou les simples moments de présence. Ni plus, ni moins. Inutile de la créditer de plus d’impact, d’importance ou d’influence que toute autre expérience de vie.
C’est bien à moi qu’incombe la responsabilité de choisir la place que je lui accorde.
Un conte amérindien raconte qu’un jour un petit fils questionna son grand père sur les tiraillements intérieurs qu’il pouvait vivre. Le grand père lui répondit qu’il y avait en chacun de nous, un loup aimable et un autre sanguinaire. L’enfant inquiet demanda à son grand père lequel des deux allait gagner ? Le grand père lui répondit : celui que tu nourriras mon petit.
Alors que décidons-nous de nourrir en nous ? la souffrance, la maladie, l’isolement, l’espoir, l’optimiste, le renouveau ? s’il est important de les entendre tous, pour autant, à qui décidons-nous de donner la première place, et pour combien de temps?
Qui, mieux que soi, doit pouvoir redécider dans une situation donnée, à un instant donné ?
Qui peut changer le cours de son histoire, sinon soi ?
Si notre inconscient peut certes nous jouer des tours, qu’en est-il de notre ressenti ?
N’est-il pas un bon repère pour savoir si l’on s’égare, si l’on se raconte des histoires, si l’on surjoue, par habitude, croyance, peur, lassitude ou autre…
Après quelques jours de solitude face à ce défi, j’ai décidé d’être honnête avec moi-même et plus lucide que jamais. Au fond de ce gouffre sans fond, j’ai ainsi pu trouver un nouvel espace en moi.
En ouvrant ce nouvel espace, l’ancien s’est détaché, cette partie en moi qui a passé l’âge, s’en est allé, avec mes remerciements pour ce qu’il fut.
Grandir n’est pas facile. Cela s’accompagne de plus de lucidité, moins de complaisance, plus de responsabilités face à sa vie et celle des autres.
Mais grandir, en conscience et en amour, n’est – ce pas un sens que l’on peut choisir de donner à sa vie ?
Pour le bien de tous…
Très belle année 2021 à chacun.